jeudi 26 juin 2008

Douanière, mon métier disparaît: vous en souffrirez

Agée de 27 ans aujourd'hui, voilà quatre ans que j'ai choisi, par vocation, le noble métier de douanier. Pourquoi noble? Pourquoi par vocation? Pour sa pluralité de missions au service direct de mes concitoyens. Quatre ans plus tard, où en suis-je? Je suis affectée dans ce que l'on nomme entre nous une unité de visite en charge du contrôle immédiat des marchandises entrant sur notre territoire.

Je travaille dans l'ombre, sans uniforme, sans arme, sans caméra de télévision. Et pourtant, j'agis pour le bien commun. Mon action a permis, par la simple ouverture, hier encore, d'un colis de jouets, d'empêcher l'entrée dans nos magasins de proximité, de peluches fabriquées en méconnaissance totale des normes de sécurité pourtant indispensables au bien-être de nos enfants. Dans le même temps, mon collègue, toujours dans le cadre d'un simple contrôle de "routine", découvrait des centaines de lunettes de soleil contrefaisant une grande marque et n'offrant en conséquence aucune véritable protection de vos yeux.

Si vous n'êtes toujours pas convaincus de la nécessité de mon travail et de la préservation de celui-ci, vous le serez sûrement par la saisie des 52 kilogrammes de cocaïne réalisée le mois dernier par votre "serviteur", ou encore par l'interception d'une exportation sans autorisation d'armes à destination d'un de ces pays sous surveillance.

Moins de douane signifie moins de contrôle

Toujours pas touché? Alors songez à ces mangues toutes fraîches que j'ai interceptées il y a deux jours à destination de votre marché de quartier et qui, suite à un contrôle phytosanitaire, se sont avérées contaminées par des parasites microscopiques. Mais ma mission n'est pas que cela. Ma mission première est fiscale: droits de douane, TVA, taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)… Toutes ces impositions honteusement détournées par des sociétés multimilliardaires au détriment de la construction des écoles de nos enfants et de nos hôpitaux.

En dépit de tout cela, je suis aujourd'hui amère. Amère parce que le gouvernement réduit notre activité à ces quelques mots: "Plus de frontière donc plus de douane." Amère parce que nos dirigeants ferment nos bureaux un à un. Depuis maintenant deux ans, notre direction générale, avec le soutien et surtout sous l'influence de notre ministère, nous présente ce qui sera demain la nouvelle cartographie douanière: un bureau de douane par département et à terme, très certainement, le maintien de seulement cinq grands pôles de dédouanement en France.

Parce que la douane, administration régalienne par excellence, est aujourd'hui animée par une logique concurrentielle dans l'unique but d'attirer sur notre territoire le maximum d'importations. Et quel meilleur moyen pour attirer les importateurs que de leur garantir moins de bureaux de douane donc moins de contrôles à l'entrée de leurs marchandises sur le territoire?
Or moins de douane signifie moins de contrôle, moins de contrôle signifiant moins de garantie de sécurité quant à la qualité saine et loyale de vos produits de consommation courante. Demain, ce sera mon bureau. D'ici là, j'espère que mon carton de peluches chinoises sans normes ne se présentera pas à nos frontières après demain parce que je ne serai peut-être plus là.

Etre fonctionnaire est devenu une honte

Parce que la douane, c'est près de 20000 hommes et femmes à votre service, mais c'est surtout 20000 fonctionnaires. Et aujourd'hui, être fonctionnaire est devenu une honte. Nous devrions être honteux de nous lever chaque jour pour aller servir l'intérêt général et le bien commun parce que nous grevons le budget de l'Etat. Et cette vision des choses ne fait que s'aggraver depuis l'accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy qui, sous une logique purement comptable, tend à réduire le nombre de fonctionnaires.

Sous couvert de nouveaux droits accordés aux fonctionnaires garantissant leur mobilité, facteur de qualification professionnelle, et l'accès à des tâches plus intéressantes, le gouvernement met aujourd'hui en place un dispositif sournois destiné à les éliminer petit à petit aux fins de remplacement par des intérimaires corvéables à merci mais sans réel engagement pour le bien commun.

Vous me direz, un fonctionnaire n'étant actuellement pas licenciable, comment les éliminer sauf à attendre leur départ à la retraite? Et c'est à ce moment précis qu'apparaît toute la perfidie du projet. Étant douanière, je vous parlerai de ce que je connais et donc je prendrai l'exemple de mon bureau de douane, voué, à terme, à une fermeture inéluctable. Dès la décision de fermeture annoncée, j'intégrerai ce que le gouvernement, dans le cadre de la réforme générale des politiques publiques, appelle pudiquement un "projet personnalisé d'évolution professionnelle". Et qui rend, après quelques formalités, les fonctionnaires licenciables.

Concrètement, cela va se traduire par moins de contrôles pour améliorer la "fluidité du trafic" et une souplesse dans ceux qui seront effectués, après le dédouanement, au sein des grandes entreprises, c'est-à-dire une fois que les marchandises prohibées seront déjà dans nos assiettes ou la chambre de nos enfants. A mes yeux, ce n'est pas acceptable. Parce que, si je suis douanière, je suis aussi une femme, une épouse et une mère de famille.

Article paru le 20 juin 2008 sur le site RUE89.COM

1 commentaire:

Anonyme a dit…

des remords ???