mercredi 14 mai 2008

Bouffe Story

M6 avec « Un dîner presque parfait » a vitrifié la concurrence sur le 18-20 heures

Ce serait le bonheur. Etre invité à dîner chez les voisins du dessous, ceux qui nourrissent pour l’ail une passion, semble-t-il, exclusive. Ou chez ceux d’à côté dont le goût prononcé pour les sardines grillées est inversement proportionnel à la taille de l’appartement. Ce rêve-là, nos chers amis, est devenu réalité chaque jour sur M6 qui en a fait une émission de télévision : Un dîner presque parfait où cinq convives anonymes s’invitent à tour de rôle à un gueuleton et élisent le moins pire gâte-sauce de la semaine qui remporte 1000 euros. Comment ça, une idée à la con ? Non mais, un peu de respect pour la chaîne qui créa Laurent Boyer. Et quand vous saurez que l’émission a mis au chômage Benjamin Castaldi, qui œuvrait à la même heure sur TF1, vous changerez vite de ton. A l’huile. Ben oui, c’est de la cuisine.
Mayonnaise bien montée

700000 téléspectateurs gagnés en deux mois, soit près de neuf Stade de France. Un record à 2,5 millions de personnes, soit plus que la totalité de la population du Languedoc-Roussillon. Des tarifs de pub multipliés par trois pour atteindre 19000 euros par spot, c’est-à-dire le salaire mensuel de Nicolas Sarkozy tombant toutes les trente secondes dans la poche de M6. Voilà, résumés à la manière des métaphores de n’importe quoi dont use Capital, les faits d’armes du Dîner presque parfait. L’émission, qui depuis fin avril, place M6 quasi systématiquement en tête des audiences de la tranche horaire 18-19 heures, a même déjà fait une victime : le jeu 1 contre 100, qu’animait Benjamin Castaldi, a été déprogrammé en urgence par TF1 qui l’a remplacé par une série américaine, laquelle ne devrait pas faire long feu. La Une pourrait lancer son gracieux Secret Story plus tôt que prévu, afin d’enrayer l’hémorragie.

Bibiane Godfroid, directrice des programmes de la Six, n’en revient pas elle-même : « C’est sûr qu’on n’imaginait pas faire une victime ; c’est un phénomène, l’audience a augmenté de plus de 60% à cet horaire : on n’avait pas eu autant de ménagères de moins de 50 ans depuis 2002 et Loft Story 2 et pour l’ensemble du public, il faut remonter à 2006 et la Coupe du monde de football. » Coup de pot pour M6 qui, avec l’irruption de la TNT, avait sérieusement chaud aux fesses à cet horaire. « Le Dîner presque parfait est une locomotive pour 100% mag qui suit, explique Bibiane Godfroid, sur le 18-20 heures, on a trouvé la formule. Maintenant, il faut la trouver pour le 20 heures et dès cet été nous allons tester notre feuilleton quotidien. » Et M6 prévoit déjà de resservir à la rentrée le couvert de son Dîner et de programmer des spéciales, opposant soit des vedettes, soit tous les gagnants des quotidiennes. Bref, le Dîner, on n’a pas fini d’en bouffer.
Sauce coach

Mais où donc ces fortiches du ciboulot de M6 sont-ils donc allés nous dégotter telle machine à cambrer l’audience ? C’est l’Internationale version M6 : on pioche dans le groupe (RTL) ce qui marche ailleurs. Le dîner presque parfait est quasi décalqué de Das perfekte Dinner, diffusée sur Vox, une cousine germaine de la Six. Trois ans que ça dure là-bas, et tous les jours. Comme en France, l’émission a permis à Vox de réduire à petits bouillons l’audience des rivales. Le concept original vient quant à lui de Grande-Bretagne : Come Dine With Me continue de bien marcher sur Channel Four et a poussé la concurrente ITV à lancer une version maison d’hôte (House Guest) du dîner. Tout ça simplement avec des gonzes qui s’invitent les uns chez les autres. L’émission est, en fait, une rejetonne de la tendance mondiale du coaching (Supernanny, C’est du propre). Avec un aggiornamento sioux, puisqu’il n’y a pas de prof de cuisine pour enseigner l’art de monter la chantilly aux anchois : c’est l’anonyme qui doit faire montre de ses talents de gâte-sauce.« Ce programme est un ovni, reconnaît Bibiane Godfroid, mais il est inscrit dans la société. Bienvenue chez les Ch’tis et Un dîner presque parfait, c’est la même chose : ça repose sur la chaleur humaine et la proximité. » Ah tiens, on se demandait aussi qui, à la télé, allait nous récupérer les Ch’tis en premier... Réponse : M6, qui, après déjà deux éditions du Dîner dans le Nord, va continuer de draguer le succès de Dany Boon avec une semaine à Bergues.
La recette du dîner

Ils s’appellent Louisa, Peggy, Jean-Yves ou Bernard. Ils sont agent commercial, coordinatrice événementiel ou informaticien. Ils sont tout le monde, jamais trop argentés, jamais trop pauvres, pas forcément jeunes et beaux. Chaque semaine, la compétition se déroule dans une nouvelle ville où cinq chefs amateurs s’invitent à tour de rôle. A chaque fois, la brochette est identique : un candidat qui n’a jamais touché une casserole de sa vie, un autre qui s’essaie à des trucs de fous (l’inepte cuisine moléculaire et l’odieuse manie des verrines ont particulièrement le vent en poupe), un roi de la grande cuisine, un dingue de plats orientaux et l’indispensable amateur de bonne franquette. Chaque jour, hachés façon julienne par le montage, nos marmitons font les courses, préparent leur repas et, enfin, reçoivent leurs invités à qui ils ne manquent pas d’infliger d’intéressantes animations (karaoké, démonstration de cor de chasse, cours de gospel, zouk voire chenille). Et tout au long du dîner, les invités vont s’enfermer dans la salle de bains de l’hôte pour livrer leurs impressions à une caméra : plan touchant de l’invité daubant à mi-voix sur fond de gants de toilette en train de sécher… Bon sang mais oui : un confessionnal, des anonymes au caractère bien trempé, des animations idiotes... Ce n’est pas une émission de cuisine que M6 nous mitonne là, c’est un Loft Story !
La cuisine du Loft

Car, souvenons-nous : c’est durant les repas que le Loft brillait de tout ses feux. Et aussi pendant les intenses séances de persiflage. De ces deux acmés du Loft, M6 a tiré Un dîner presque parfait, au même résultat hypnotique pour le téléspectateur. Car l’émission joue sur un ressort essentiel : la langue de pute d’après-agapes. Genre « J’ai failli laisser mes dents dans le rôti tellement il était dur » ou « C’était normal, tu crois les petits morceaux verts dans la chantilly aux anchois ? » « Critiquer un dîner au retour dans la voiture, tout le monde l’a déjà fait » confirme Bibiane Godfroid. Et d’ailleurs, à la fin de chaque épisode du Dîner, les convives notent leur hôte depuis le siège arrière d’une bagnole. Sans jamais oublier de lui balancer une bordée de saloperies au passage. C’est qu’il y a des sacrilèges, dans un Dîner presque parfait et des règles d’airain aussi intangibles, semble-t-il, que le clou de girofle dans la blanquette. Premier péché : ne pas tout cuisiner soi-même. La pâte feuilletée, déjà prête, c’est mal, très mal. Second péché : faire lambiner les invités pendant qu’on est en train de se battre en cuisine avec le mixeur. Pas bon, ça. Troisième péché : les serviettes en papier —hou que c’est laid. Il est en revanche fermement conseillé de jeter des pétales de rose ou des galets sur sa nappe en guise de déco. Voire des poissons rouges vivants. Car un repas, c’est une mise en scène, observait Roland Barthes : « Il rôde autour de la table une vague pulsion scopique : on regarde (on guette ?) sur l’autre les effets de la nourriture. » Pas faux, Roro. Vous reprendrez bien un peu de daube ?

Source Ecrans.fr

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